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Philosophie > sujets expliqués - Question simple

Discussion: la cruauté de l'homme ne s'explique t-elle en effet que par le refus de se reconnaître dans la troublante proximité de l'autre_cet autre fût-il un animal?

 
Bonjour,
J'ai un sujet de discussion à faire sur le thème de l'homme et l'animal.Je suis en classe prépa scientifique (1ère année).Il s'agit de répondre à la question "La cruauté de l'homme ne s'explique-t-elle en effet que par le refus de se reconnaître dans la troublante
proximité de l'autre — cet autre fût-il un animal ?" grâce à un article tiré de Sciences et Vie.

LE PARADOXE DE LA CRUAUTE
La cruauté est une affaire d'hommes. Lorsque la chatte du spécialiste de l'éthologie humaine Boris
Cyrulnik broie l'arrière-train d'une souris, alors qu'elle n'a visiblement pas l'intention de tuer sa victime
pour s'en nourrir, elle exerce, du simple point de vue de cette nécessité admise qu'est manger pour vivre,
une violence inutile, une violence en plus. On ne songe cependant pas à parler de cruauté. Comme le
souligne en substance le chercheur(l), le sentiment même de violence est ici absent. Car pour qu'il
apparaisse, il faudrait que la chatte puisse se représenter le monde de la souris, qu'une communication
permette la contagion des émotions et des idées.
Nous autres humains, au contraire, sommes capables de nous forger une « théorie de l'autre », pourvu
que nous le reconnaissions suffisamment semblable à nous. Nous sommes parvenus à nous représenter les
représentations de l'autre. Et c'est dans cette empathie que s'enracine le paradoxe de la cruauté : pour que
celle-ci puise s'exercer, il nous faut partager quelque chose avec notre victime. Nous ne pouvons nous
montrer cruels qu'avec nos proches.
Quand nous croquons une feuille de salade, quand nous avalons une huître vivante, nous n'envisageons
pas cela comme une violence, et encore moins comme un acte cruel. En revanche, tuer ou faire souffrir un
animal dans lequel nous reconnaissons une certaine proximité ( un mammifère, par exemple) peut s'avérer
assez compliqué. Chacun projettera en lui ses propres émotions, selon sa culture, son histoire personnelle
ou sa sensibilité. L'un se résoudra peut-être à n'être que végétarien, un autre admettra que l'on tue un
taureau dans un abattoir, mais réprouvera la corrida, un troisième pourra voir dans le spectacle des arènes
une liturgie sublime, mais sera répugné à l'idée que l'on massacre des bébés phoques...
Quant à ce qui est d'infliger souffrance ou mort à d'autres hommes, cela semble impossible tant que
nous nous représentons autrui comme un autre nous-même. Sa souffrance est alors notre souffrance, sa
mort notre mort. L'histoire est pourtant pleine de guerres et de tueries. Dans le cas des guerres civiles, en
particulier, comment comprendre que des gens qui, hier, s'entendaient parfaitement, aujourd'hui s'entre-
tuent entre voisins et parfois entre parents ? Il doit bien exister quelque part quelque artifice capable de
contourner la difficulté.
En appeler, à la suite de Freud, à des « pulsions de mort » chez l'Homme, et auxquelles les circonstances
permettraient de se déchaîner semble insuffisant. De même, tous les assassins ne sont pas des « cas
psychiatriques ». Le nazisme n'est pas apparu à l'occasion d'une génération spontanée de tueurs
pathologiques en Allemagne. Pas plus que le Cambodge des Khmers rouges n'a été décimé parce qu'il se
serait soudain vu investi par une coalition de sadiques, réunis sous la même bannière.
En fait, la cruauté, loin d'être un débordement incontrôlé de violence, apparaît toujours comme faisant
partie intégrante du programme des tueurs. Son administration révèle des constantes. Tout se passe en
effet comme s'il s'agissait d'appliquer une séquence de gestes et de paroles puisant dans un registre bien
défini — ce qui conduit souvent les tueries à revêtir les atours d'une ritualisation — et dont l'objectif final est
la destruction physique ou psychologique de l'autre. Puisqu'il semble plus simple psychologiquement, et en
tout cas « moins illégitime » de tuer un animal ou de détruire une chose, les tueurs cherchent donc d'abord
à changer le statut de leur victime.
Ils commencent par altérer la représentation qu'ils s'en font en la déclassant d'une manière ou d'une
autre. Le prochain doit être transformé d'abord symboliquement, puis dans les faits, en lointain. Un cercle
vicieux dans lequel la raison s'embourbe, en réalité, puisque l'objectif du programme de la cruauté est de
justifier sa mise en œuvre. Parfois, la seule existence du rite, c'est-à-dire d'un « respect des formes »,
semble d'ailleurs le seul mode envisagé de légitimation de l'administration de la violence. C'est
apparemment le cas dans les courses de taureaux aussi bien que dans les simulacres de procès, chers aux
régimes totalitaires.
A propos des pratiques observées dans les camps d'extermination nazis, l'écrivain Primo Levi pouvait
ainsi dire qu'il ne s'agissait « pas seulement de mort, mais d'une foule de détails maniaques et symboliques,
visant tous à prouver que les Juifs, les Tziganes et les Slaves ne sont que bétail, boue, ordure. » L'actualité
récente n'en finit pas de fournir des exemples procédant d'une même démarche(2).
Daniel Pécaut décrit en ces termes les gradations dans l'administration de la terreur observées lors de la
première vague de violence qu'a connue la Colombie, au milieu du siècle : « Annoncer la mort par des
messages écrits, battre l'adversaire avec la face plate de la machette pour donner un avertissement, le faire
assister aux sévices infligés à sa famille, l'abattre. » Une séquence devenue coutumière et que l'on constate,
même si c'est avec des expressions différentes, aujourd'hui encore dans le pays. La logique de la
dégradation visée est toujours la même : quelqu'un qui a peur, en effet, « n'est pas un homme » ( castration
symbolique ) ; de plus, avoir peur revient aussi à « se faire sur soi », et donc devenir porteur d'une
souillure.
Egalement placées sous le signe de la souillure, les exactions dans l'ex-Yougoslavie, menées dans le cadre
de ce que la propagande a appelé la « purification ethnique », et qui a consisté en une campagne de viols
systématiques des femmes appartenant au camp des vaincus. Le viol ne vise pas la destruction de la
personne physique, mais de la personne morale et sociale. Il a des visées de meurtres symbolique. Comme
le relève Véronique Nahoum-Grappe, il « constitue un cas particulier de crime où l'infamie est portée par
la victime. »
En soi, il est donc déjà un mode de déclassement de l'autre. Forcées de mener à terme leur grossesse, les
femmes « souillées », niées en tant qu'êtres humains, n'ont été alors considérées que comme un simple
support biologique destiné à mettre au monde des enfants « de l'autre religion. »
Même constat avec la mise en place des camps de concentration, où l'on parque pour les rendre
« repoussants et hideux » ceux que l'on veut désigner comme haïssables. « Tout le travail du faiseur de
génocide, poursuit la sociologue, consiste à inscrire dans la réalité sa lecture de l'autre, sale, repoussant,
avili, bestial puisque recouvert de ses excréments : seule la cruauté, et son programme, peut effectuer ce
travail sur le corps de l'autre. »
Au Rwanda, lors du génocide des Tutsis par des groupes de Hutus, comme dans l'ex-Yougoslavie, on a
forcé des parents à tuer leurs enfants, des maris à tuer leurs épouses. Là encore, le propos était clair : il s'agissait de faire exprimer aux victimes leur propre inhumanité. Un père qui tue ses enfants n'est pas un
homme véritable. Il ne mérite pas de vivre.
Telle apparaît donc l'étrange logique génocidaire. De plus, ici, les mises à mort ont souvent été
précédées du sectionnement des mains et des pieds à coups de machette. Parfois, on s'est contenté de
trancher les tendons d'Achille. Explication donnée par les tueurs : il s'agissait de raccourcir les Tutsis, que
la propagande définissait comme plus grands que les Hutus.
En fait, Hutus et Tutsis appartiennent à une seule population, brassée génétiquement, et ne peuvent
donc se distinguer par de telles différences physiques. Comme le note Françoise Héritier, l'objectif
véritable des assassins était plutôt de « rendre inertes, impuissants, rabattus à l'état de végétal immobile,
ceux que l'on craint comme ennemis. » Une fois de plus, donc, c'est à la transformation symbolique d'un
homme en autre chose qu'un homme que l'on a procédé afin de pouvoir le tuer.
C'est à cela que servirait donc cette violence en plus qu'est la cruauté. Et c'est d'ailleurs ce que
reconnaissait d'une certaine façon l'ancien chef du camp de Treblinka quand, interrogé sur le sens qu'il
donnait aux humiliations et aux sévices subie par ses victimes appelées de toute façon à périr, il expliquait
qu'il s'agissait de « conditionner ceux qui devaient exécuter matériellement les opérations. Pour leur rendre
possible de faire ce qu'ils faisaient. » Une manière cynique de signifier que les tueurs aussi sont des êtres
humains, mais qui place surtout en pleine lumière tout le paradoxe de la cruauté. Rapportant les propos de
l'ancien commandant nazi. Primo Levi ajoute : « Soit dit en d'autres termes : avant de mourir, la victime
doit être dégradée afin que le meurtrier sente moins le poids de sa faute. C'est une explication qui ne
manque pas de logique, mais qui crie au ciel : c'est l'unique utilité de la violence inutile. »
Serge JODRA - article paru dans Science et Vie- Hors série n° 200 — Septembre 1997.
(1) Boris Cyrulnik - Les nourriture affectives. 1993
(2) Des réflexions sur les situations évoquées ici peuvent se trouver dans De la violence — F. Héritier, éd. Odile Jacob.
1996.

Discussion :

"Nous ne pouvons nous montrer cruels qu'avec nos proches." ( 1.11-12 ) et pourtant « infliger
souffrance ou mort à d'autres hommes, cela semble impossible tant que nous nous représentons autrui
comme un autre nous-même. » ( 1. 20-21 )

La cruauté de l'homme ne s'explique-t-elle en effet que par le refus de se reconnaître dans la troublante
proximité de l'autre — cet autre fût-il un animal ?

Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les œuvres à votre programme cette année — et
particulièrement sur votre (re)lecture de La métamorphose de Kafka.

J'ai essayé d'établir un plan à partir d'une problématique.Peut-on reformuler la question par "la cruauté sert-elle seulement à l'homme de se distinguer de l'animal?"
Mon plan serait le suivant :
-Partie I: La cruauté permet à l'homme d'éviter de se conduire comme un animal.
-Partie II:Mais la cruauté humaine ne s'exprime t-elle pas pour d'autres raisons?
On pourrait parler grâce à l'article de l'altération des représentations (avec l'exemple d'Hitler et les camps de concentrations),des ritualisations.

Mais ce que je ne comprends dans la question c'est le mot "refus".En quoi être cruel c'est refuser de se reconnaître dans l'animal?Ce ne serait pas le contraire?
Serait-il possible de me proposer un plan plus détaillé répondant mieux à la question?Car je ne vois pas trop quoi mettre en parlant de refus.Et aussi quelles sont les autres raisons qui expliqueraient la cruauté de l'homme?

Merci.(Mon devoir est à rendre pour vendredi et je n'ai pas beaucoup de temps)  
 
 

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