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on ne laisse envahir ses domaines par personne, au moindre désaccord sur des questions de limites, on court aux pierres et aux armes : mais on laisse les autres empieter sur sa vie ; bien mieux, on introduit soi-mêmeceux qui vont devenir les maitres. Il ne se trouve personne pour vouloir partager son argent, mais entre combien chacun distribue-t-il sa vie ? On est serré quand il faut gardder son patrimoine s'agit-ild'une perte de temps, on est particulièrement prodigue du seul bien dont il serait honorable de se montrer avare.
Aussi, j'aime à prendre à partie quelqu'un dans la foule des gens agés : "Nous te voyons parvenu àl'extrème limite de la vie humaine ; cent ans ou plus s'amoncellent sur ta tête : allons, reviens en arriere, fais le compte de ton existence. Calcule combien de ce temps là t'a pris un créancier, combien une maitresse, combien un roi, combien un client, combien les querelles conjugales, combien le chatiment des esclave, combien les allées et venues à travers la ville pour des devoirs mondains, ajoute les maladies que nous nous sommes données, ajoute encore le temps inemployé - tu verras que tu as moins d'années que tu n'en comptes. Rappelle toi quand tu t'en es tenu à tes décisions, quel jour s'est passé comme tu l'avais arrete, quand tu as pu disposer de toi même, quand ton visage est resté impassible, ton ame intrépide, quelle a été ton oeuvre dans une si longue existence, combien de gens ont gaspillé ta vie sans que tu t'aperçoives dudommage, tout ce que t'ont soustrait de vaines contrarietés, une sotte allegresse, une avide cupidité, unentretien flatteur, combien peu de toi même t'est resté tu comprendras que tu meurs prématurement."
Quelle en est la raison ? Vous vivez toujours comme si vous alliez vivre, jamais vous ne songez à votre fragilité, vous ne considérez pas tout le temps qui est déjà passé ; vous perdez comme si vous aviez un trésor inepuisable, alors que paut-être ce jour que vous donnez à un homme ou à une occupationquelconque est le dernier. Vos terreurs incessantes sont d'un mortel, vos désirs incessants d'un immortel.
Seneque, De la brièvete de la vie
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