Texte 1 : Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, (1616), v. 97-130 Dans les tragiques, Agrippa d’Aubigné évoque les guerres de religion pendant lesquelles la France a été déchirée entre deux camps, celui des catholiques et celui des protestants. Je veux peindre la France une mère affligée, Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée. Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage Dont nature donnait à son besson* l'usage ; Ce voleur acharné, cet Esau* malheureux, Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux, Si que*, pour arracher à son frère la vie, Il méprise la sienne et n'en a plus d'envie. Mais son Jacob, pressé* d'avoir jeûné meshui*, Ayant dompté longtemps en son c½ur son ennui*, A la fin se défend, et sa juste colère Rend à l'autre un combat dont le champ est la mère. Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris, Ni les pleurs réchauffés* ne calment leurs esprits ; Mais leur rage les guide et leur poison les trouble, Si bien que leur courroux par leurs coups se redouble. Leur conflit se rallume et fait* si furieux Que d'un gauche* malheur ils se crèvent les yeux. Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte, Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte ; Elle voit les mutins, tout déchirés, sanglants, Qui, ainsi que du c½ur, des mains se vont cherchant. Quand, pressant à son sein d'un amour maternel Celui qui a le droit et la juste querelle, Elle veut le sauver, l'autre, qui n'est pas las, Viole en poursuivant, l'asile de ses bras. A donc* se perd le lait, le suc de sa poitrine ; Puis, aux derniers abois de sa proche ruine, Elle dit : " Vous avez, félons*, ensanglanté Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté ; Or, vivez de venin, sanglante géniture*, Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture ! " *besson : jumeau * Esau : dans la Bible Esau maltraite injustement son frère Jacob (cf. v. 11) *si que : si bien que *pressé : accablé *meshui : aujourd’hui *son ennui : sa douleur *réchauffés : qui redoublent *fait : devient *gauche : funeste *A donc : par conséquent *félons : traîtres *géniture : descendance Texte 2 : Victor Hugo, Chansons des rues et des bois, II, 3, Liberté, Egalité, Fraternité, 1, (1865) Depuis six mille ans la guerre Plait aux peuples querelleurs, Et Dieu perd son temps à faire Les étoiles et les fleurs. Les conseils du ciel immense, Du lys pur, du nid doré, N'ôtent aucune démence Du c½ur de l'homme effaré. Les carnages, les victoires, Voilà notre grand amour ; Et les multitudes noires Ont pour grelot le tambour. La gloire, sous ses chimères Et sous ses chars triomphants, Met toutes les pauvres mères Et tous les petits enfants. Notre bonheur est farouche ; C'est de dire : Allons ! mourons ! Et c'est d'avoir à la bouche La salive des clairons. L'acier luit, les bivouacs fument ; Pâles, nous nous déchaînons ; Les sombres âmes s'allument Aux lumières des canons. Et cela pour des altesses Qui, vous à peine enterrés, Se feront des politesses Pendant que vous pourrirez, Et que, dans le champ funeste, Les chacals et les oiseaux, Hideux, iront voir s'il reste De la chair après vos os ! Aucun peuple ne tolère Qu'un autre vive à côté ; Et l'on souffle la colère Dans notre imbécillité*. C'est un Russe ! Egorge, assomme. Un Croate ! Feu roulant. C'est juste. Pourquoi cet homme Avait-il un habit blanc ? Celui-ci, je le supprime Et m'en vais, le c½ur serein, Puisqu'il a commis le crime De naître à droite du Rhin. Rosbach ! Waterloo *! Vengeance ! L'homme, ivre d'un affreux bruit, N'a plus d'autre intelligence Que le massacre et la nuit. On pourrait boire aux fontaines, Prier dans l'ombre à genoux, Aimer, songer sous les chênes ; Tuer son frère est plus doux. On se hache, on se harponne, On court par monts et par vaux ; L'épouvante se cramponne Du poing aux crins des chevaux. Et l'aube est là sur la plaine ! Oh ! j'admire, en vérité, Qu'on puisse avoir de la haine Quand l'alouette a chanté. *imbécilité : ici, faiblesse des capacités physiques et intellectuelles * Rosbach, Waterloo : noms de batailles Texte 3 : Guillaume Apollinaire, Calligrammes Exercice Vers un village de l'arrière S'en allaient quatre bombardiers* Ils étaient couverts de poussière Depuis la tête jusqu'aux pieds Ils regardaient la vaste plaine En parlant entre eux du passé Et ne se retournaient qu'à peine Quand un obus avait toussé Tous quatre de la classe seize Parlaient d'antan non d'avenir Ainsi se prolongeait l'ascèse* Qui les exerçait à mourir *bombardiers : soldats qui servent dans l’artillerie *ascèse : ensemble d’exercices en vue d’un apprentissage Texte 4 : Léopold Sédar Senghor, Hosties noires (1948) Senghor rend hommage aux soldats sénégalais morts pour la France. Assassinats Ils sont là étendus par les routes captives, le long des route du désastre Les sveltes peupliers, les statues des dieux sombres drapés dans leurs longs manteaux d’or Les prisonniers sénégalais ténébreusement allongés sur la terre de France. En vain ont-ils coupé ton rire, en vain la fleur plus noire de ta chair. Tu es la fleur de la beauté première parmi l’absence nue des fleurs Fleur noire et son sourire grave, diamant d’un temps immémorial. Vous êtes le limon et le plasma du printemps viride* du monde, Du couple primitif vous êtes la charnure*, le ventre fécond, la laitance*. Vous êtes la pullulance* sacrée des clairs jardins paradisiaques Et la forêt incoercible, victorieuse du feu et de la foudre. Le chant vaste de votre sang vaincra machines et canons Votre parole palpitante les sophismes et mensonges. Aucune haine votre âme sans haine, aucune ruse votre âme sans ruse. Ô Martyrs noirs race immortelle, laissez-moi dire les paroles qui pardonnent. *virides : verts, verdoyants *charnure : l’ensemble des chairs d’un corps *laitance : semence de couleur blanche, utilisée par certains poisons pour féconder les ½ufs de la femelle. *pullulance : abondance *incoercible : qui ne peut être comprimé, qu’on ne peut pas dominer |
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BROUILLON DE LA QUESTION D’ENSEMBLE | |||||
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