Science sans conscience n'est que ruine de l'âme
Philosophie > sujets expliqués - Question simple
Votre analyse de la citation de Rabelais est parfaite. Je vais donc vous aider plus en vous donnant quelques précisions anecdotiques sur cette phrase puis, surtout, en vous indiquant des pistes pour articuler une position critique à son propos.
La distinction entre faits et valeurs, entre analyse scientifique et capacité morale, est effectivement bien le propos de Rabelais. Nous avons donc une réflexion qui, bien qu'antérieure à celle de Gallilée, Bacon et Descartes (qui mettent en place la méthode de la science moderne telle qu'elle décode le monde en langage mathématique) permet néanmoins de dire que tout savoir requiert une mesure, c'est-à-dire un jugement moral directeur. Ce qui change toutefois, et fait le propre des premiers humanistes, tient aux raisons pour lesquelles ils formulent cette réserve. En fait, ce sont des auteurs profondément emprunts de religion et de croyance, et qui par conséquent ne prônent pas encore la séparation de la foi et de la raison mais leurs limitations réciproques. Cela veut dire que la science permet de formuler une compréhension exacte du monde mais limitée. Elle découvre autant notre ignorance que notre savoir. Dès lors, sans en arriver à Pascal (et au doute par rapport aux prétentions rationalistes des hommes), il est certain que si la compréhension scientifique est parcellaire, elle appelle des règles morales reposant sur l'idée du providentialisme, c'est-à-dire d'une conception du monde tel qu'il a été conçu par Dieu et tel qu'il est voulu pour le meilleur par Lui. En ce sens, la science n'est qu'un mode d'explication qui reconduit aux Vérités éternelles et elle ne peut être un argument de la supériorité humaine sur la nature et les choses. Dit encore autrement, cela revient à penser que la science est du ressort de l'explication matérielle des choses, mais que ce type d'explication est limitée de façon interne (car il reste de la matière inconnue) et de façon externe, car elle n'a pas de prise sur ce qui est la condition du monde physique, à savoir le Dieu et les âmes.
Pour réussir votre dissertation, il me semble utile de montrer qu'un tel point de vue est limitatif, car il subordonne un mode d'explication rationnel à un jugement moral qui ne l'est pas. Autrement dit, comment guider par des principes moraux et religieux la réalisation d'un progrès qui est objectif, c'est-à-dire ne dépend pas d'un jugement de valeur mais se fait à la faveur exclusive de la découverte des évènements tels qu'ils arrivent. Plutôt que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il faudrait dire que la science est toujours sans conscience car la science échappe à la conscience pour se faire de façon autonome. Cela veut donc dire que ce n'est pas tant la science qui a besoin de conscience que l'homme qui apprend la science et qui ne sait pas l'utiliser. Plus exactement cela revient à penser que la science ne véhicule aucune idéologie et que les errements de l'âme telle qu'elle se révèle incapable d'utiliser la science font qu'elle risque de se ruiner. Ce sont donc les principes moraux et les traditions tenus pour vrai qui se montrent indadptés au progrès scientifique (Cf toutes les atrocités commises au nom de la religion au des traditions dans les sociétés d'Ancien Régime) et les modalités de rapport entre science et conscience doivent être repensées pour affirmer que la conscience procède de la science, c'est-à-dire de la réflexion sur ce qui est possible et sur la façon dont le progrès s'établit.
Toutefois, et à partir de ce constat, il reste pertinent de constater que la science peut elle-même conduire à une ruine de l'âme et de l'homme dans la mesure où elle permet une analyse objective du monde qui est déshumanisée. Ainsi, aussi bien dans l'organisation scientifique du travail (utiltarisme et taylorisme) que dans les risques encourus par le progrès scientifique (nucléaire) ou encore dans les utilisations problématiques des inventions les plus remarquables (clonage etc), il apparaît que la science ne conduit pas systématiquement à une confiance morale. Il s'agit donc de penser que si la tradition est indadaptée pour penser les normes morales, mais que la science elle-même n'en contient pas, il faut construire une éthique à la mesure de la science, c'est-à-dire faire en sorte que la conscience s'élabore dans le partage des connaissances scientifiques.
Pour développer ces points de vue, je ne peux que vous renvoyer à l'excellent et très clair Allan F. Chalmers : Qu'est-ce que la science ? (Coll poche) qui aborde les principaux auteurs ayant réfléchi à la science.
Bon courage et félicitations.
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